62e MOSTRA DE VENISE
Il était une fois Matt Damon
ALAIN LORFÈVRE
Mis en ligne le 07/09/2005
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Matt Damon est en compétition à la Mostra, à l'affiche du «Frères Grimm» de Terry Gilliam.
La star discrète n'en finit pas d'enchaîner les films.
ENTRETIEN À VENISE
Il était une fois un jeune Américain si passionné de cinéma qu'il décida d'arrêter ses études à Harvard pourtant en bonne voie. La célébrité tardant à venir, il écrivit avec un vieux camarade d'école (Ben Affleck) un scénario («Good Will Hunting») qu'il ne céda qu'avec la certitude de pouvoir y jouer l'un des rôles principaux. Un oscar plus tard, il devint, à vingt-sept ans, la nouvelle coqueluche d'Hollywood. Depuis, petit Matt Damon est devenu très grand et creuse son trou au point d'être devenu l'une des valeurs les plus sûres d'Hollywood. Après avoir été à l'affiche l'année dernière de deux fructueuses suites («The Bourne supremacy» et «Ocean's Twelve»), on le retrouve dans la compétition vénitienne à l'affiche du «Brothers Grimm», conte décalé sur les deux conteurs emballé avec toute la folie de Terry Gilliam. Damon y côtoie Heath Ledger, Monica Belluci et Jonathan Pryce. Et dans les prochains mois, on le reverra dans «Syriana», thriller politique de Stephen Gaghan emmené par son pote George Clooney (avec qui il a fait la fête à Venise entre deux avions), dans «The Good Shepherd», deuxième réalisation de Robert De Niro et dans «The Departed», remake par Martin Scorsese du fameux «Infernal Affairs». Rançon de la gloire - qu'il a modeste -, on se bousculait pour faire le point avec la plus discrète des stars américaines: treize à table - ou Damon's Thirteen.
Terry est-il plutôt Wilhelm ou Jacob Grimm?
Oh, Jacob bien sûr. Sur le tournage, c'est quelqu'un de très enthousiaste, toujours affairé, qui court de gauche à droite. Mais on ne rigole pas tout le temps. Même avec lui, c'est toujours un travail. Comme il travaille beaucoup au grand angle, cela implique énormément de personnes dans chaque plan et beaucoup de concentration pour que tout se passe bien. Mais quand il dit «coupez! c'était parfait», vous partagez le sentiment collectif du travail bien fait. C'est un cours pratique de cinéma quotidien.
Vous étiez censé jouer Jacob au départ. Pourquoi avez-vous échangé votre rôle avec Heath Ledger?
Simplement parce que ça nous permettait à chacun de jouer un type de rôle que nous avons peu joué. C'était plus amusant ainsi et ça permettait de varier les plaisirs.
Terry a-t-il accepté facilement?
Il a pris une nuit pour réfléchir. Quand je l'ai revu le lendemain, j'avais moi-même réfléchi à la question et je suis arrivé en lui disant: « OK, je jouerai Jacob», il m'a répondu: «Non, non, je veux que tu joues Will».
Est-ce que, avec le recul vous êtes heureux d'avoir acquis la renommée vers la trentaine?
Rétrospectivement, oui. Je ne vous aurais sans doute pas dit cela à 18 ou 19 ans. Je suis content de la façon dont les choses se sont passées. J'avais 27 ans quand tout a vraiment commencé à se mettre en place. Leo, lui, a dû faire face à ce que peu d'acteurs ont connu: une gloire au sommet à seulement 19 ans. C'est un poids énorme à gérer. Mais il a quand même réussi à s'en sortir et à évoluer jusqu'à devenir un grand acteur et une personne équilibrée.
Vous semblez beaucoup plus à l'abri des aléas de la gloire.
Je vis à New York où je mène une vie très tranquille. Il y a de temps en temps un ou deux paparazzi qui m'attendent devant chez moi. Je les laisse prendre une photo, on bavarde... et ils s'en vont parce qu'en réalité je ne suis pas très intéressant pour eux comme sujet. Si vous ne vous battez pas en public ou ne sortez pas avec une autre star, on vous fiche la paix.
Le fait que votre compagne n'est pas une célébrité aide, évidemment...
Enormément. Deux célébrités ensemble polarisent encore plus l'attention.
Vous êtes-vous jamais demandé ce que vous auriez fait si vous n'étiez pas devenu un acteur?
Je crois que je serais devenu écrivain ou prof, comme ma mère.
Ecrivain, vous l'êtes un peu puisque vous avez écrit deux scénarios.
Quand Ben (Affleck) et moi avons écrit «Good Will Hunting», c'était aussi une manière de creuser notre trou comme acteurs. Et par chance, c'est ce qui s'est passé.
Depuis, nous n'avons plus pu le faire, parce que nous ne sommes plus jamais au même endroit. Il vient d'écrire un nouveau scénario d'après Dennis Lehane qu'il va tourner l'année prochaine.
Et après le succès de «Gerry» que vous avez également écrit, vous n'avez pas envie de vous y remettre?
Oui, mais il faudrait que je trouve à la fois l'idée et le temps pour le faire.
Vous enchaînez effectivement les films. Vous venez de terminer le tournage de «The Departed» de Martin Scorsese. Comment cela s'est-il passé?
Très bien. Travailler avec lui fut la concrétisation d'un rêve. Et le casting était impressionnant: Jack Nicholson, Martin Sheen, Mark Walbergh... Là encore, c'était comme aller à l'école de cinéma.
Est-ce que ce sera une trilogie comme l'original chinois?
Non, c'est conçu pour être un film unique.
Et quid de «Syriana», qui sera lui aussi bientôt dans les salles?
C'est comme le «Traffic» de Soderbergh, sauf qu'au lieu de la drogue, le sujet est le pétrole. C'est donc très politique et je crois que c'est une bonne chose aujourd'hui.
Pourquoi?
C'est dur pour l'instant, vous savez. Les Républicains excellent tellement dans la bagarre que plus personne n'ose s'exprimer ou s'engager. Il faut donc être très prudent dans la façon de s'impliquer dans le débat. Mais c'est nécessaire. Souvenons-nous que les Américains ont réélu Nixon après le début du scandale du Watergate. On répète les mêmes erreurs et on met du temps à en sortir. Mais on y arrivera. Il y a de l'espoir!
«The Brothers Grimm» sortira chez nous le 5 octobre prochain.
© La Libre Belgique 2005